La pancarte et la chambre à gaz

Peut-on dire: l’horreur domine à Auschwitz, le non-sens au Goulag?  L’horreur, parce que l’extermination sous toutes formes est l’horizon immédiat, morts-vivants, parias, musulmans: telle est la vérité de la vie. Cependant, un certain nombre résistent; le mot politique garde un sens; il faut survivre pour témoigner, peut-être pour vaincre. Au Goulag, jusqu’à la mort de Staline et à l’exception des opposants politiques dont les mémorialistes parlent peu – trop peu – (sauf Joseph Berger), il n’y a pas de politiques: nul ne sait pourquoi il est là; résister n’a pas de sens, sauf pour soi-même ou pour l’amitié, ce qui est rare; seuls les religieux ont des convictions fermes capables de donner signification à la vie, à la mort; la résistance sera donc spirituelle. Il faut attendre les révoltes venues des profondeurs, puis les dissidents, les écrits clandestins, pour que les perspectives s’ouvrent, pour que, des décombres, les paroles ruinées se fassent entendre, traversent le silence.

Assurément, le non-sens est à Auschwitz, l’horreur au Goulag. L’insensé en sa dérision est représenté le mieux par le fils du Lagerführer Schwarzhuber: à dix ans, il venait parfois chercher son père au camp; un jour, on ne le retrouva pas; aussitôt son père pensa: il a été ramassé par mégarde et jeté avec les autres à la chambre à gaz; mais l’enfant s’était seulement caché et, désormais, on lui mit au cou une pancarte pour l’identifier.

 

Maurice Blanchot: L’écriture du désastre, Gallimard, 1980, p.131.-132.

Publié par

Didier Durmarque

Didier Durmarque est professeur de philosophie en Normandie. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont la plupart sont des approches de la question de la Shoah. Moins que rien (2006), La Liseuse (2012) étaient des approches littéraires et romanesques de la question du néant, de l’identité et de la culture à partir de la Shoah. Philosophie de la Shoah (2014) Enseigner la Shoah: ce que la Shoah enseigne (2016) et Phénoménologie de la chambre à gaz (2018) constituent une tentative de faire de la Shoah un principe de la philosophie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.