Peut-on dire: l’horreur domine à Auschwitz, le non-sens au Goulag? L’horreur, parce que l’extermination sous toutes formes est l’horizon immédiat, morts-vivants, parias, musulmans: telle est la vérité de la vie. Cependant, un certain nombre résistent; le mot politique garde un sens; il faut survivre pour témoigner, peut-être pour vaincre. Au Goulag, jusqu’à la mort de Staline et à l’exception des opposants politiques dont les mémorialistes parlent peu – trop peu – (sauf Joseph Berger), il n’y a pas de politiques: nul ne sait pourquoi il est là; résister n’a pas de sens, sauf pour soi-même ou pour l’amitié, ce qui est rare; seuls les religieux ont des convictions fermes capables de donner signification à la vie, à la mort; la résistance sera donc spirituelle. Il faut attendre les révoltes venues des profondeurs, puis les dissidents, les écrits clandestins, pour que les perspectives s’ouvrent, pour que, des décombres, les paroles ruinées se fassent entendre, traversent le silence.
Assurément, le non-sens est à Auschwitz, l’horreur au Goulag. L’insensé en sa dérision est représenté le mieux par le fils du Lagerführer Schwarzhuber: à dix ans, il venait parfois chercher son père au camp; un jour, on ne le retrouva pas; aussitôt son père pensa: il a été ramassé par mégarde et jeté avec les autres à la chambre à gaz; mais l’enfant s’était seulement caché et, désormais, on lui mit au cou une pancarte pour l’identifier.
Maurice Blanchot: L’écriture du désastre, Gallimard, 1980, p.131.-132.