« Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons »

La rafle des hommes juifs de Rouen, le 6 mai 1942.

Témoignage de Denise Holstein.

« En fait, jusqu’en 1942, nous menons une vie à peu près normale. Je vais au lycée Jeanne d’Arc depuis la sixième. Et, quand ce lycée est réquisitionné par les Allemands, je retourne au lycée Corneille, le lycée de garçons où j’ai fait mes premières classes parce que Maman trouvait plus commode de mener ses deux enfants dans le même établissement.

6 mai 1942. Il est neuf heures et nous sommes encore dans la salle à manger, mes parents, mon frère et moi. Je regarde par la fenêtre. Il y a le couvre-feu. La rue est calme, puisque personne n’a le droit de sortir. Je vois deux gendarmes français qui longent le jardin Solférino, regardent vers nos fenêtres, s’avancent vers la maison. J’appelle Maman. Elle regarde. Comme moi, elle comprend. Elle prévient papa qui monte chez nos voisins, les Morand. Coup de sonnette. Maman descend ouvrir la porte et un gendarme monte avec elle. « Nous venons chercher M. Holstein ». Petite phrase terrible. Il est là, disent-ils, ils en sont sûrs, il a soigné des clients jusqu’à vingt heures et, en raison du couvre-feu, il n’est certainement pas sorti. « S’il ne vient pas, on vous emmène avec vos deux enfants ». La voisine écoute et remonte dire à Papa ce qui se passe. Il descend. « Prenez une couverture et un sac, je ne sais pas si vous reviendrez ce soir. » Phrase habituelle des arrestations dont on ne sait combien elles dureront, ni comment elles se termineront.

A Rouen, cette nuit-là, les hommes juifs de dix-huit à cinquante-cinq ans sont arrêtés, Jean, mon frère, heureusement, est encore un tout petit peu plus jeune que le seuil fatidique. Comme tous les juifs ont été recensés auparavant par la police française, et comme le couvre-feu laisse peu de chances de s’échapper, la rafle peut se faire en relativement peu de temps. A Rouen, ce sont ainsi soixante-dix-sept hommes juifs, surtout des Français, qui sont emmenés. »

 

Denise Holstein: Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz, Editions n°1, 1995, p. 21-22.

Denise Holstein, survivante d’Auschwitz, matricule A 16 727

Publié par

Didier Durmarque

Didier Durmarque est professeur de philosophie en Normandie. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont la plupart sont des approches de la question de la Shoah. Moins que rien (2006), La Liseuse (2012) étaient des approches littéraires et romanesques de la question du néant, de l’identité et de la culture à partir de la Shoah. Philosophie de la Shoah (2014) Enseigner la Shoah: ce que la Shoah enseigne (2016) et Phénoménologie de la chambre à gaz (2018) constituent une tentative de faire de la Shoah un principe de la philosophie.

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