Dieu e(s)t Auschwitz

Est-ce que Dieu est mort à Auschwitz? On m’a posé un jour cette question, mais elle est sans réponse; il n’y a jamais de réponse à l’abandon, et il n’a jamais existé de pire abandon que celui des Juifs d’Europe. Non seulement les Juifs d’Europe ont été abandonnés par les hommes, mais ils ont été abandonnés par Dieu. Les Juifs d’Europe ont été les personnes les plus abandonnées au monde parce qu’elles ont été abandonnées par l’abandon lui-même. Je pense que mon vœu de silence était une manière de rendre hommage à cet abandon, et de m’approcher de ce qu’il a de plus invivable; de ne pas laisser seuls les Juifs d’Europe exterminés, de ne pas abandonner les morts. Je pense que seuls les abandonnés sont capables d’escorter les abandonnés. Si je suis resté tant d’années silencieux, ce n’était pas seulement parce que ma parole avait échoué à stopper l’extermination; ce n’était pas seulement parce que cette parole n’avait sauvé personne: c’était pour m’enfermer dans ce tombeau où Dieu et l’extermination sont face à face, où l’extermination regarde silencieusement l’absence de Dieu.

Yannick Haenel: Jan Karski, Gallimard 2009, p.164.

 

Publié par

Didier Durmarque

Didier Durmarque est professeur de philosophie en Normandie. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont la plupart sont des approches de la question de la Shoah. Moins que rien (2006), La Liseuse (2012) étaient des approches littéraires et romanesques de la question du néant, de l’identité et de la culture à partir de la Shoah. Philosophie de la Shoah (2014) Enseigner la Shoah: ce que la Shoah enseigne (2016) et Phénoménologie de la chambre à gaz (2018) constituent une tentative de faire de la Shoah un principe de la philosophie.

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