Par une telle lecture, nous commençons de comprendre que l’homme est l’indestructible et que pourtant il peut être détruit. Cela arrive dans le malheur. Dans le malheur, nous nous approchons de cette limite où, privés du pouvoir de dire « Je », privés aussi du monde, nous ne serions plus que cet Autre que nous ne sommes pas.
- L’homme est l’indestructible qui peut être détruit. Cela sonne encore comme une vérité, et toutefois nous ne pouvons pas le savoir d’un savoir déjà vrai. N’est-ce pas seulement une formule attirante?
- Je crois que le livre de Robert Antelme nous aide à avancer dans ce savoir. Mais il faut bien comprendre ce qu’une telle connaissance a de lourd. Que l’homme puisse être détruit, cela n’est certes pas rassurant; mais que, malgré cela et à cause de cela, en ce mouvement même, l’homme reste l’indestructible, voilà qui est vraiment accablant, parce que nous n’avons plus aucune chance de nous voir jamais débarrassés de nous, ni de notre responsabilité.
- Comme si, plus terrible que l’universel désastre, était en l’homme l’inexorable affirmation qui toujours le maintient debout. Mais pourquoi l’indestructible? Pourquoi peut-il être détruit? Quel est le rapport de ces deux mots?
- Je lis dans le livre d’Antelme: « Mais il n’y a pas d’ambiguïté, nous restons des hommes, nous ne finirons qu’en hommes…C’est parce que nous sommes des hommes comme eux que les SS seront en définitive impuissants devant nous… Le bourreau peut tuer un homme, mais il ne peut pas le changer en autre chose. » Voilà une première réponse: le pouvoir humain peut tout.
Maurice Blanchot: L’entretien infini, Gallimard, 1969, p.192.