– Maintenant, vous allez voir quelque chose. La chasse. Vous ne l’auriez jamais cru si vous ne l’aviez pas vu par vous-même.
Je regardai. Au milieu de la rue se tenaient deux adolescents dans l’uniforme des Jeunesses hitlériennes. Ils n’avaient pas de casquettes et leurs cheveux blonds brillaient au soleil. Avec leurs visages ronds aux joues roses et leurs yeux bleus, ils étaient l’image de la santé et de la vie. Ils bavardaient, riaient, se poussaient, dans un accès de gaieté. A ce moment, le plus jeune sortit un révolver de sa poche de côté et je compris alors pour la première fois à quoi j’assistais. Ses yeux cherchaient une cible avec la concentration amusée d’un gamin à la foire.
Je suivis son regard. Je remarquai alors que la rue était déserte. Les yeux du garçon s’arrêtèrent sur un point qui était en dehors de mon champ visuel. Il leva le bras et visa soigneusement. La détonation éclata, suivie d’un bruit de verre brisé, puis du cri horrible d’un homme à l’agonie.
Le garçon qui avait fait feu poussa un cri de joie. L’autre lui frappa sur l’épaule et lui dit quelque chose, apparemment pour le féliciter. Ils restèrent là quelque temps, souriants, gais, insolents. Puis ils partirent bras dessus bras dessous, en bavardant joyeusement comme s’ils revenaient d’une compétition sportive.
Jan Karski: Mon témoignage devant le monde, Robert Laffont, 2012, p.429-430.