I.N.R.I. et l’enfant caché

C’est l’histoire d’un enfant juif caché dans une famille belge grâce à un réseau de résistance. La famille est chrétienne, elle ignore l’identité véritable des parents de cet enfant, ces derniers ignorent où leur enfant est caché. Le réseau de résistance a organisé une sorte de surveillance ou d’inspection des familles qui cachent des enfants. Un jour, la famille dont nous parlons prend contact avec le réseau de résistants.  Elle accuse l’enfant, âge de six ou sept ans, d’avoir commis un vol. Une femme est déléguée pour voir ce qui se passe. Elle apprend que l’enfant est voleur et que la famille n’en veut plus. Atterrée, elle demande de pouvoir en référer au chef du réseau, qui prend le risque d’aller lui-même voir la famille d’accueil et donc de se dévoiler comme le supérieur de la femme déléguée. Il a d’ailleurs réprimandé cette dernière en lui demandant comment elle pouvait laisser dire qu’un enfant de six ans était un voleur…

Il arrive dans la famille et on lui confirme la chose: l’enfant est voleur, on ne veut plus de lui. Il demande alors à parler à l’enfant en tête à tête. Il le sermonne, lui parle comme on parle à un adulte et lui explique:

– ça ne va pas. Ces gens risquent leur vie pour sauver la tienne et tu n’as rien trouvé de mieux que de les voler.

Et non seulement il a volé, mais encore il ment, puisqu’il nie. Et il continue avec obstination de nier devant le chef du réseau.

Tout à coup, ce dernier a une illumination – une de celles qui font trop souvent défaut quand on s’explique avec un enfant:

– Au fait, on te reproche d’avoir volé quoi?

Car jusque-là, on n’avait pas du tout parlé de l’objet volé qui motivait l’accusation. Et l’enfant de répondre:

– Ils disent que j’ai volé le petit Jésus dans la crèche.

Le chef du réseau demande:

– Ce n’est pas vrai?

L’enfant répond:

–  Non, ce n’est pas vrai!

– Mais alors, qu’as-tu fait?

– Je n’ai pas volé. Je l’ai seulement caché.

– Et pourquoi tu l’as caché?

– Parce qu’il est juif!

 

Marc-Alain Ouaknin

Les dix commandements, 1999, Editions du Seuil, p. 212-213.

 

 

 

Publié par

Didier Durmarque

Didier Durmarque est professeur de philosophie en Normandie. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont la plupart sont des approches de la question de la Shoah. Moins que rien (2006), La Liseuse (2012) étaient des approches littéraires et romanesques de la question du néant, de l’identité et de la culture à partir de la Shoah. Philosophie de la Shoah (2014) Enseigner la Shoah: ce que la Shoah enseigne (2016) et Phénoménologie de la chambre à gaz (2018) constituent une tentative de faire de la Shoah un principe de la philosophie.

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