Dialogue avec Jean-Claude Milner (8)

Juste un mot : je suis très intéressé par ce que vous dites sur les Tsiganes. J’ai toujours été frappé par un paradoxe : en tant que linguiste, j’ai suivi des cours de langue tsigane. Il ne fait aucun doute que cette langue est un prâkrit et se rattache directement au sanskrit. Or, vous n’ignorez pas que l’idéologie nazie accordait une place éminente à l’indo-européanisme comme discipline savante et aux références indiennes (la svastika par exemple). Or, la seule ethnie qu’en Europe on pouvait rattacher à l’Inde ancienne, c’étaient les Tsiganes. En toute logique, ils auraient dû faire l’objet d’un traitement de faveur.
C’est tout le contraire qui s’est passé. Les données que vous rassemblez, les interprétations que vous en donnez éclairent la question. Les Tsiganes sont d’autant plus dangereux qu’ils touchent, par leurs origines, à ce qu’il y a de plus purement aryen. Ils sont en position de le corrompre.
Vous connaissez sans doute la note de Husserl sur les Tsiganes, dans une des conférences qu’il a données à Vienne. Elle va dans votre sens : le Juif allemand se perçoit aux antipodes du Tsigane.
Les propos que vous rapportez concernant les Slaves me convainquent moins. Ils me paraissent ne concerner que les territoires destinés à faire partie de l’Allemagne. Même la phrase  la nationalité et le peuple polonais doivent être détruites ne signifie pas selon moi que tous les Polonais doivent être détruits, mais qu’ils doivent survivre comme privés de nationalité et du statut de peuple. 
Le problème juif, par opposition, se pose à l’échelle du monde et passe par la destruction ad unum de la trace la plus infime. Je ne crois pas qu’on puisse trouver d’analogue au mot Judenrein du type Polenrein, Russenrein.
Bien à vous,
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Publié par

Didier Durmarque

Didier Durmarque est professeur de philosophie en Normandie. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont la plupart sont des approches de la question de la Shoah. Moins que rien (2006), La Liseuse (2012) étaient des approches littéraires et romanesques de la question du néant, de l’identité et de la culture à partir de la Shoah. Philosophie de la Shoah (2014) Enseigner la Shoah: ce que la Shoah enseigne (2016) et Phénoménologie de la chambre à gaz (2018) constituent une tentative de faire de la Shoah un principe de la philosophie.

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