Cher Monsieur Milner;
Je voudrais essayer de me dégager du vocabulaire heideggérien, tout en conceptualisant phénoménologiquement mon propos sur la chambre à gaz.
L’idée que celui qui entre dans la chambre à gaz ne fait point l’expérience de la mort en tant que telle me semble problématique, d’autant plus lorsqu’elle permet à Agamben de faire du « musulman » le symbole du camp.
Que l’on oppose la mort à la vie (lapalissade apparente), à la présence à soi (lato sensu) ou au mourir (il n’y a pas de mort parce que pas de témoin direct, d’où l’effacement des traces par les nazis), dans tous les cas, il n’y pas d’expérience de la chambre à gaz en tant que telle. Il n’y a pas d’apparaître de la chambre à gaz.
D’où la question suivante: l’expérience de la chambre à gaz, à partir de la mort, n’est-elle pas une approche qui cache ce qu’elle révèle à son insu? Une apparition sans apparaître. C’est la raison pour laquelle il n’y a rien de moins technique que la chambre à gaz, au sens d’une technicité, d’une autonomie de l’objet. Le sens de la chambre à gaz renvoie à son essence d’apparition sans apparaître, il n’est pas purement noématique.
Quant à « l’apparaissant » de la chambre à gaz, il est à la fois trace (megilot des Sonderkommandos, etc.) et reste, dans l’acception que le judaïsme donne à ce dernier terme. A cet égard, je suis interpellé par l’idée de Kertész qui montre comment Auschwitz se rapporte au Sinaï, sans avoir de culture religieuse. Il y a là une fulgurance que j’aimerais expliciter. La façon dont Benny Lévy repensait la scène du Sinaï, avec cette montagne renversée et cette scène à l’intérieur de la montagne, ne relève-t-il pas d’une apparition sans apparaître? L’analyse des dix paroles de Ouaknin semble également réinvestir le texte en ce sens.
Peut-être que, sur ce point, expliciter une fulgurance ne serait point la perdre, mais l’accomplir.
Bien à vous.