Les Etats désunis de la Shoah: histoire d’une dénégation.

Une conférence d’Anna Blech vient ajouter de l’eau au moulin d’une tolérance lâche et assumée, voire d’une dénégation équivoque de l’attitude américaine à l’égard de la Shoah durant la seconde guerre mondiale. On avait auparavant beaucoup glosé sur l’attitude de Roosevelt concernant l’opportunité d’un bombardement sur les voies d’accès aux camps de concentration et d’extermination. Le témoignage du Juste, Jean Karski, et son entretien avec un Roosevelt attentif et à l’écoute, sont de notoriété publique. La fascination devant ce moment historique n’a pas cessé depuis, et Lanzmann répétait, il y a peu, qu’il ne fallait pas condamner l’attitude de Roosevelt, jugée complexe, au moment où le cinéaste et l’historien fustigeaient l’oeuvre romanesque de Haenel sur Roosevelt.

Or, l’intervention de Anna Blech, le 23 octobre 2013, « Downplaying the Holocaust, Arthur Hays Sulzberger and the New York Times » à TEDx New York, est pour le moins didactique et sans ambiguïtés, non seulement à l’égard du New York Times, mais aussi à l’encontre du gouvernement Roosevelt. Elle s’appuie sur une étude minutieuse des articles du New York Times pendant la seconde guerre mondiale.

L’historienne Laurel Leff dénombre, dans le New York Times, 1186 articles sur la Shoah entre 1939 et 1945. Le 2 juillet 1942, le New York Times expose précisément l’existence de camps de concentration, de chambres à gaz et évoque sans détour l’extermination des Juifs. Le plus souvent ces articles sont mélangés à d’autres plus superfétatoires, à ranger au rayon faits divers. Alors que le New York Times donne des chiffres précis sur l’Holocauste dès 1942, les unes du journal ne sont jamais consacrées aux massacres des Juifs, mais souvent cantonnées aux biens de consommation et à la jouissance de la possession. Il y a une volonté d’information qui est comme contrecarrée par l’emplacement des articles. Or, Arthur Sulzberger, propriétaire du New York Times durant la seconde guerre mondiale, Juif de surcroît, cherche à afficher une neutralité bienveillante qui confine à la dénégation: « It is decency and justice that are being persecuted -not a race, a nationality or a faith. » Pie XII n’avait pas dit mieux en Noël 1942…

Bien plus, l’historienne Deborah Lipps affirme que le New York Times s’alignait sur l’administration Roosevelt, laquelle assumait une stratégie de camouflage des massacres dans le but de ne pas être submergé par les demandes d’aide. On rappellera l’argumentation américaine, de haute volée, pour justifier l’absence de bombardements des voies ferrées conduisant à la mort: détourner les ressources importantes pour l’effort de guerre. A part la guerre, rappelle Anna Blech, il n’y avait rien que les Etats-Unis ne pouvaient faire… Il n’y a pas seulement une erreur politique, mais une faute morale qui fait bien peu de cas à la transparence et au devoir de mémoire. Mais la morale, il y a longtemps que la politique internationale n’en a cure. On rappellera l’impérieuse nécessité d’un travail de connaissance de la Shoah pour éviter de répéter ce que l’on ignore, raison pour laquelle mon travail sur une Philosophie de la Shoah mérite d’exister en France, aux Etats-Unis  ou ailleurs.

 

 

Publié par

Didier Durmarque

Didier Durmarque est professeur de philosophie en Normandie. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont la plupart sont des approches de la question de la Shoah. Moins que rien (2006), La Liseuse (2012) étaient des approches littéraires et romanesques de la question du néant, de l’identité et de la culture à partir de la Shoah. Philosophie de la Shoah (2014) Enseigner la Shoah: ce que la Shoah enseigne (2016) et Phénoménologie de la chambre à gaz (2018) constituent une tentative de faire de la Shoah un principe de la philosophie.

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