« De nombreux témoignages ont été écrits sur l’Anéantissement. L’horreur nous pétrissait à pleines mains. Des gens étaient devenus méconnaissables. Mais la littérature de témoignage refuse d’admettre cette altération. Elle ne veut voir dans l’Anéantissement qu’un épisode, fut-il terrifiant. Au nom de la vie, elle refuse de lui reconnaître une influence décisive. Revenons aux normes de vie admises, conclut cette littérature. La plupart des livres de témoignages attestent d’une libération de la tension et, paradoxalement, de l’oubli. Il n’y a pratiquement pas de tentative de comprendre ni a fortiori de donner forme. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des décennies, se sont écoulées, et plus le temps passe, plus il semble que l’expérience des milliers et de dizaines de milliers soit repoussée dans un coin dénommé « tragique épisode » (…) Après l’expérience de l’Anéantissement, il n’y a plus de surprises. L’harmonie est ridicule. Coutume signifie lieu commun. L’explication psychologique n’est qu’une mince pellicule. Les réformes sociales sont une farce. En d’autres termes: les convenances esthétiques, morales, religieuses sont mortes, et celui qui s’en tient à elles pèche par anachronisme. »
Aharon Appelfeld.
Préface du livre de Reib Rochman « A pas aveugles de par le monde ». La préface a été écrite en 1979 et est intitulée « Frère d’âme ».
Editions Denoël, p. 13-14.