Concernant la chambre à gaz, il faut séparer victimes et bourreaux. Pour les seconds, il s’agit d’une invention technique et d’une solution à un problème. C’est en se plaçant du point de vue des premiers que l’on peut faire surgir la question ontologique et la dimension atopique, anachronique que vous évoquez.
Le détournement dont vous parlez tient à cette dichotomie victimes/bourreaux. Je dis bien dichotomie et non pas symétrie inverse. Au reste, une des données singulières de la chambre à gaz est qu’elle est opaque à ceux qui l’ont organisée. Si je me souviens bien, les SS ne s’occupaient pas de la suite, cela revenait aux Sonderkommandos. Personne n’a l’expérience des chambres à gaz hors ceux qui y meurent (c’est tout à fait différent de la chambre à gaz utilisée aux USA, qui est individuelle, entièrement visible, aussi saisissable par le bourreau que par le condamné).
Si je reprends votre terminologie, la trace ontologique dans l’invention ontique est précisément cette opacité.
Le projet de traiter en termes strictement techniques la mort de masse est en même temps une transformation de la mort elle-même (quoique n’étant pas heideggérien, je note qu’il a souligné ce point en récusant le verbe sterben à propos des victimes). Mais la transformation de la mort affecte l’être pour la mort et par conséquent le Dasein.
Le langage heideggerien n’est pas le mien, mais je constate en vous lisant qu’il vous permet à vous d’aller plus avant. C’est pourquoi je l’adopte dans nos échanges, mais sans y adhérer. Plus m’importent en effet les avancées que les réussites.
Bien à vous,
JCM