La référence à l’idée d’une essence de l’humanité exposerait le programme des droits de l’homme (par conséquent aussi la perspective d’un droit humanitaire) aux plus terribles « contaminations » et « complicités ».
C’est dans le même esprit que Ph. Lacoue-Labarthe défend la perspective selon laquelle le nazisme est un humanisme.
A partir de ses propres options, C. Lévi-Strauss (…) suggérait dans un article du journal « Le Monde » (21 janvier 1979), corroboré au demeurant par beaucoup d’autres textes, que l’humanisme issu de la tradition judéo-chrétienne, de la Renaissance et du cartésianisme, est impliqué dans « toutes les tragédies que nous avons vécues, d’abord avec le colonialisme, puis avec le fascisme, enfin avec les camps d’extermination »: ensemble de catastrophes qui, expliquait-il « s’inscrit non en opposition ou en contradiction avec le prétendu humanisme sous la forme où nous le pratiquons depuis plusieurs siècles, mais presque dans son prolongement naturel », au point que « se préoccuper de l’homme comme tel » et faire de lui la valeur la plus sacrée, ce serait inévitablement, par une monstrueuse dialectique des Lumières, « conduire l’humanité à s’opprimer elle-même, lui ouvrir le chemin de l’auto-oppression et de l’auto-exploitation » précisément parce que l’homme occidental « en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité (par une pensée du propre de l’homme), ouvrait un cycle maudit » qui allait le conduire à « constamment reculer » la « frontière » de l’humanité, donc à « écarter des hommes d’autres hommes » et à « revendiquer, au profit de minorités toujours plus restreintes », le privilège de l’humanisme, corrompu aussitôt né.
A. Renaut: le crime contre l’humanité, le droit humanitaire et la Shoah in Philosophie n°67: La philosophie devant la Shoah.