Illusion de la civilisation: Une intellectuelle à Auschwitz

Il y a ce professeur qui à son arrivée à Auschwitz, voyant la fumée et les flammes qui s’échappent des cheminées, expliqua avec la plus grande conviction que ce qui était l’évidence même n’était pas possible, parce qu’on était au XXème siècle et en Mitteleuropa, c’est-à-dire en plein coeur du monde civilisé. Je m’en souviens encore comme si c’était aujourd’hui: je la trouvais ridicule, mais pas parce qu’elle ne voulait pas croire au génocide. Cela c’était compréhensible, car la chose paraissait effectivement peu plausible (pourquoi tuer tous les Juifs?), et toute dénégation servait l’espoir de vivre ou plutôt la peur de la mort de mes douze ans. C’étaient les arguments que je trouvais ridicules: l’histoire de la culture et du coeur de l’Europe. Moi aussi, j’aimais la culture, pour autant que j’avais pu y accéder dans les livres, mais je ne croyais pas qu’elle constituât une garantie ni créât une communauté.

Ruth Kluger, Refus de témoigner, p.137.

Publié par

Didier Durmarque

Didier Durmarque est professeur de philosophie en Normandie. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont la plupart sont des approches de la question de la Shoah. Moins que rien (2006), La Liseuse (2012) étaient des approches littéraires et romanesques de la question du néant, de l’identité et de la culture à partir de la Shoah. Philosophie de la Shoah (2014) Enseigner la Shoah: ce que la Shoah enseigne (2016) et Phénoménologie de la chambre à gaz (2018) constituent une tentative de faire de la Shoah un principe de la philosophie.

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