Quand l’homme se donne à voir

Jamais les gens normaux ne pourraient comprendre. Ils vivent en surface. Pas seulement de conventions sociales. Mais d’autres bien plus profondes. Insoupçonnées. Les conventions où la vie la plus intime se tolère. Leur dire: la vérité, c’est que la victime comme le bourreau étaient ignobles; que la leçon des camps, c’est la fraternité de l’abjection; que si toi tu ne t’es pas conduit avec le même degré d’ignominie, c’est que seulement le temps a manqué et que les conditions n’ont pas été tout à fait au point; qu’il n’existe qu’une différence de rythme dans la décomposition des êtres: que la lenteur du rythme est l’apanage des grands caractères, mais que le terreau, ce qu’il y dessous et qui monte, monte, monte, c’est absolument, affreusement, la même chose. Qui le croira? D’autant que les rescapés ne le sauront plus. Ils inventeront, eux aussi, des images d’Epinal. De fades héros en carton pâte. La misère de centaines de milliers de morts servira de tabou à ces estampes. Impossible à supporter.

 

David Rousset, Les Jours de notre mort, Hachette littératures 1993, p.742.

Publié par

Didier Durmarque

Didier Durmarque est professeur de philosophie en Normandie. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont la plupart sont des approches de la question de la Shoah. Moins que rien (2006), La Liseuse (2012) étaient des approches littéraires et romanesques de la question du néant, de l’identité et de la culture à partir de la Shoah. Philosophie de la Shoah (2014) Enseigner la Shoah: ce que la Shoah enseigne (2016) et Phénoménologie de la chambre à gaz (2018) constituent une tentative de faire de la Shoah un principe de la philosophie.

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