« Himmler lui-même se rapprochait. Je scrutais son visage pâle, flasque, dont l’expression semblait tolérante et condescendante, mi-ennuyée, mi-amusée. Ses lunettes, sans montures, brillaient au soleil. Contrairement aux autres, son uniforme ne semblait pas avoir été fait pour lui, et je pensais: « Cet homme n’est pas un monstre. On dirait plutôt un maître d’école, un très ordinaire maître d’école. »
J’appris, des années plus tard, qu’il avait été professeur de mathématiques avant de devenir l’architecte des camps d’extermination de Hitler. Pour lui la mort n’était qu’une simple arithmétique, des rangées de chiffres dans un livre de comptes bien tenu(…)
Pou un ancien professeur de mathématiques, le manque de rigueur de l’ensemble du système était insupportable, toute l’organisation étant laissé au hasard. Et c’est ainsi qu’il donna des ordres pour la plus grande, la plus efficace usine d’extermination que le monde ait jamais connue. Des ordres pour des chambres à gae en béton armé et d’immenses fours crématoires capables d’absorber jusqu’à douze mille corps en vingt-quatre heures: ce qui fut fait.
Des ordres pour la mise en place de l’énorme machine qui avala deux millions cinq cent mille hommes, femmes et enfants en trois ens et qui les vomot en spirales innocentes de fumées noirâtres (…)
Pendant quelques instants Himmler regarda ce qui se passait dans la chambre de la mort, manifestement impressionné, puis il se tourna vers le commandant pour poser une nouvelle série de questions.
Ce qu’il avait vu semblait l’avoir satisfait et mis de bonne humeur. »
Rudolf Vrba, Je me suis évadé d’Auschwitz, p.13-19.