« Nous ne savons pas ce que nous faisons. »
« Cette formule, vous la connaissez vous aussi par l’école, elle se trouve dans l’Evangile selon saint Luc ; il s’agit là d’une parole de Jésus, qui en réalité, face à notre situation de type eichmannienne, ne peut plus s’appliquer comme le pensai Jésus. Car Jésus avait fondé sa demande à Dieu de pardonner les péchés de ses prochains en arguant de leur ignorance. De nos jours, inversement, c’est l’ignorance (de ce que nous pourrions savoir, mieux, de ce que nous ne pourrions aucunement ne pas savoir) qui constitue la faute elle-même (…) Ce n’était pas une lubie de ma part, finalement, lorsque dans ma première lettre, il y a vingt-cinq ans, je nous avais désignés, nous tous, en généralisant, comme les « fils d’Eichmann ». Car en réalité, quelle que soit l’activité par nous exercée, nous avons tous – donc pas seulement les individus entièrement dépendants qui, relégués sur les degrés les plus bas de l’échelle, ne savent pas (n’ont pas le droit de savoir, la capacité de savoir) « ce qu’ils font », c’est-à-dire : les effets qu’ils produisent par leur agir, donc ce qu’ils « infligent » -, en réalité, oui, nous avons tous en commun avec votre père cette « indifférence ». »
Günther Anders: Nous, fils d’Eichmann.