Cher Baptiste;
Merci pour ce long courriel, éclairant à bien des égards.
Je reprends notre discussion sur le socle grec et la parole juive: au premier abord, dans la tradition, l’écart est patent, même si je suis plus circonspect sur la question de la technique.
Ce qui est tendancieux, voire fâcheux, presque obscène (Je ne reviens pas sur le contenu des Cahiers Noirs) , c’est que l’écart s’annule dès l’instant où l’on se rapporte à la pensée heideggérienne, Heidegger est le seul à faire de l’être une question herméneutique dès les premières pages de Sein und Zeit.
Je ne parle pas de l’ignorance totale de la parole juive chez Heidegger, mais comparez par exemple ce que Ouaknin dit des dix commandements, ce que Léo Strauss en dit en s’appuyant sur Maïmonide et le statut de l’Être chez Heidegger. Ce qui est donné à l’origine, c’est l’ordre de la parole et la parole de l’ordre, une sorte de logos distinct du logos grec. Après ce qui diffère radicalement, c’est l’ordre éthique, bien sûr, à savoir l’appel, mais le texte du Talmud est complexe avec cette montagne du Sinaï renversée qu’analyse Levinas, Benny Lévy et Ouaknin. Si le contenu ontologique diffère sensiblement, la structure me semble identique. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de diluer l’identité des deux rives, mais de voir, de concevoir qu’elles mènent à un même fleuve, voire que le signifié et le signifiant peuvent être communs! mais pas la référence.
En ce qui concerne le panorganisationnel, même si je ne conteste pas les références judicieuses que vous donnez, j’aurais eu tendance à le placer dans la préface des Principles of scientific management de Taylor, que vous connaissez bien, avec cette phrase anodine et décapante: In the past the man was first, in the future, the system will be first. Immanence pure et autoréalisation du même. N-a-t-il pas ici une généralisation d’une procédure scientifique, voire scientiste qu’on appelle protocole depuis la fin du 19ème siècle? Le protocole n’est-il pas le nom scientifique du panorganisationnel?
Sur le sujet de la Shoah, je suis moins convaincu que vous par les propos d’Agamben, particulièrement lorsqu’il fait du mulsulman le témoin ultime, dévalorisant le témoignage et le sens de la parole. Ce faisant, ce point de vue me semble à l’antipode de Kertész qui pense le camp comme texte.
Le livre d’Almeida n’est pas inintéressant, mais, à mon sens, loin des saillies analytiques d’un Zygmunt Bauman et d’un Christopher Browning.
Je serai un de vos premiers lecteurs pour la sortie de votre second volume sur Heidegger et le Management.
Amicalement.