Il est difficile d’expliquer pourquoi les Allemands ont choisi Riga pour tuer leurs Juifs. Un jour, l’ordonnance du commandant du ghetto, l’Untersturmführer Miege, se laissa aller à des confidences alors qu’il était pris de boisson; il expliqua à sa façon pourquoi les Juifs allemands étaient déportés en Lettonie: les Allemands ne voulaient pas de tuerie chez eux, car chaque bourreau aurait été immédiatement repéré par un grand nombre de gens.
Deuxièmement, en confiant une partie des exécutions aux traitres choisis parmi les nationalistes lettons, ils créaient des liens avec beaucoup de criminels, sur lesquels ils comptaient s’appuyer par la suite.
Les Allemands organisèrent la déportation de leurs Juifs de telle manière que les malheureuses victimes ignoraient leur sort jusqu’au dernier moment. On avait expliqué à tous que leur départ s’effectuait dans le but de coloniser les territoires de l’Est, que l’Allemagne n’avait pas retiré la citoyenneté à ses Juifs, mais jugeait utile de les installer dans l’Ostland. On leur recommandait d’emporter tout ce qui pouvait servir pour leur installation. Dans la poche de l’un des Juifs allemands tués à Riga, on trouva les consignes données lors de son départ de Berlin:
« Berlin, n°4, le 11 novembre 1942.
À Monsieur Albert Israël Unger et son épouse.
Suite à une décision des autorités, votre départ est prévu pour le 19 janvier 1942. Cette décision concerne vous-même, votre épouse ainsi que tous les membres célibataires de votre famille inclus dans votre déclaration de biens.
Le 17 janvier 1942 à midi, les scellés seront apposés sur votre porte. Vous devez donc préparer pour cette date vos malles et vos bagages à main. Vous deez remettre au fonctionnaire les clés de votre appartement et des chambres. Vous devez suivre le fonctionnaire au commissariat de police de votre quartier en prenant avec vous les gros bagages et les bagages à main. Les gros bagages resteront au commissariat de police. Notre service des bagages se chargera de les transporter par camion de rassemblement, rue Levetzow 7/8.
Après avoir transporté vos bagages au commissariat de police, vous devez vous rendre, munis de vos bagages à main, à la synagogue de la rue Levetzow (l’entrée se trouve rue Jagow). Vous devez emprunter les transports en commun.
Nous prenons en charge votre entretien sur le lieu de rassemblement et le voyage en chemin de fer. Cependant, il n’est pas inutile de prévoir dans vos bagages à main un repas composé d’aliments que vous trouverez chez vous, notamment un dîner.
Sur le lieu de rassemblement, ainsi qu’en chemin, vous serez nourris et bénéficierez d’une assistance médicale.
Ci-joint un aide-mémoire avec les précisions nécessaires.
Il convient de suivre scrupuleusement ces instructions et de préparer votre voyage avec calme et réflexion. »
Le convoi entrait en gare de Riga. Il était accueilli par l’Obersturmführer Krause ou un autre haut fonctionnaire du commissariat général. L’Allemand souhaitait la bienvenue au chef du convoi avec un aimable sourire et dans les termes les plus choisis. Après un échange de politesses, il annonçait d’un ton désolé que par suite d’un empêchement imprévu, il y avait un petit problème de transport: les autobus n’étaient pas tous arrivés. C’est pourquoi il demandait au chef du convoi de mettre à part les hommes et les femmes les plus vaillantes qui devraient parcourir trois à quatre kilomètres; tandis que les personnes âgées, les femmes et les enfants feraient le trajet en autobus.
L’organisation était parfaite. Les policiers et les gendarmes, un gentil sourire aux lèvres, aidaient en plaisantant les femmes et les vieillards à monter dans les autobus, soulevaient précautionneusement les enfants pour les donner à leurs mères.
Les hommes se rendaient à pied à Vorstadt de Moscou pour occuper les appartements libérés par les Juifs de Riga. Les femmes, les vieillards et les enfants étaient conduits vers la forêt de Bikernieki. Là, l’attitude des Allemands changeait du tout au tout. Ls portes des autobus s’ouvraient, des policiers et des gendarmes les encerclaient exactement comme à l’arrivée des trains. Mais ils ne souriaient plus, n’essayaient plus de paraître galants. Ils frappaient tous ceux qui leur tombaient sous la main à coups de crosse de fusil, tuaient certains sur-le-champ. On ordonnait aux gens de se déshabiller, de plier leurs vêtements et de se diriger vers le ravin, où l’on avait déjà creusé d’immenses fosses…
Certains convois étaient acheminés vers la forêt de Bikernieki dans leur intégralité, dans d’autres on sélectionnait les plus forts, ceux qui étaient aptes à travailler. Bientôt, le grand ghetto fut repeuplé de Juifs de Berlin, de Cologne, de Düsseldorf, de Prague, de Vienne et d’autres villes d’Europe.
Témoignage du Capitainre E. Gekhtman
En tout, entre le 27 novembre 1941 et le 16 février 1942 près de vingt-cinq mille Juifs de Berlin, Nuremberg, Stuttgart, Hambourg, Cologne, Dusseldorf, Bielefeld, Hanovre, Leipzig, Dortmund, Vienne et Theresienstadt furent déportés à Riga.
Vassili Grossman
Ilya Ehrenbourg
Le Livre noir sur l’extermination des Juifs en URSS et en Pologne (1941-1945), Tome 2, Actes Sud, 1995, p. 296 à 299.
Ma grand-mère qui vivait à Vienne . Elle a fait partie de l’un des convois pour Riga . Mon père qui lui a été déporté à Auschwitz , était le seul survivant de sa famille à l’issue de la guerre . Il est décédé à 99 ans sans jamais avoir su où les siens furent assassinés .
Les Juifs allemands furent aussi tues au Fort IX de Kovno en Lituanie, 900 Francis aussi.
Pourquoi? Parce que les pays baltes avaient ete les premiers a etre « nettoyes » de leurs Juifs et que ces massacres furent tres vite et tres facilement organises dans un milieu soit hostile, soit interesse, soit completement indifferent.
Et puis il y a une tres longue histoire commune des Lettons avec les Prussiens.
Vous posez la question sur les Juifs allemands, mais les SS recrutes parmi les populations baltes ont toujours ete employes dans la Shoah des Juifs de l’Est. On trouve des Lettons et des Lituaniens dans la repression de la revolte du ghetto de Varsovie, on trouve ces memes SS dans les centres de mise a mort (appeles improprement « camps ») de Sobibor, de Treblinka, de Chelmno, d’Auschwitz.