Cher Monsieur;
Tout à fait! de sorte que votre réponse semble impliquer une « phénoménologie ontologique de la chambre à gaz » dont j’essaie de penser une première esquisse. Il est évident que cette tentative doit rencontrer, en son chemin, votre approche de la chambre à gaz comme réponse au couple problème/solution, autrement dit à la question juive.
Vous dites, en paragraphe 28 des penchants criminels de l’Europe démocratique, que « la modernité du moderne en technique se dit invention« . Cette invention ontique n’est-elle pas un détournement ontologique, si je reprends une conceptualisation heideggérienne? Ainsi, je ne parle pas seulement de détournement d’objets existants (fermes, véhicules) , mais de la révélation d’une essence pure (« par delà? » comment l’exprimer? « dans » si je suis dans une démarche phénoménologique?) dans l’existence.
Le terme « avenance », selon la traduction de Fédier, n’est-il pas celui qui désigne l’événement à partir duquel l’être ad-vient à partir, voire dans le Da-Sein, si ce « dans » ne désigne pas une intériorité, mais une présence à soi? Alors, dans cette optique, la chambre à gaz serait comme une polarité négative de l’avenance que Heidegger pense comme Gestell, sans penser la chambre à gaz comme lieu atopique, achronique, comme lieu privatif (négatif?) de l’Etre, et donc du lieu qui rend possible ce passé qui ne passe pas, qui tue le Da et le Sein. Je crois qu’il y a cette intuition chez Kertész. J’ai essayé, d’une manière exotérique, de montrer que cette idée était à l’oeuvre dans les écrits des camps. Il était impérieux, pour moi, de penser une philosophie de la Shoah avec les morts et les survivants, et non in abstracto.
J’ose une dernière remarque: la focalisation des négationnistes sur la chambre à gaz n’est-elle pas le symptôme, voire la maladie patente qu’il y a là « autre » « chose », de l’insupportable, c’est-à-dire ce qui n’est porté par rien et qui est porté par rien?
De ce qui peut se dire ici rend possible ou impossible une philosophie de la Shoah.
Bien à vous.