Auschwitz: de la terre jusqu’au ciel, 4 avril 1944

Aufklärung, c’est un terme de l’histoire des idées. C’est aussi un terme militaire: la reconnaissance. La reconnaissance aérienne.

En Europe centrale, le ciel est généralement couvert. La vue n’est dégagée qu’environ trente jours par an.

Le 4 avril 1944, le ciel était sans nuage. De précédentes averses de pluie avaient abattu la poussière.

Des avions américains avaient décollé de Goffia (Italie) et se dirigeaient sur des objectifs en Silésie – des usines de carburant et de caoutchouc synthétique (buna).

Arrivant sur les chantiers des usines IG-Farben, un pilote déclencha sa caméra et prit une photo du camp de concentration d’Auschwitz.

Première image d’Auschwitz, prise à 7000 d’altitude.

Les images prises en avril 1944 en Silésie arrivèrent pour exploitation à Medmanham, en Angleterre.

Les interprétateurs-photos identifièrent une centrale, une usine de carbide, une usine de buna en cours de construction et une usine d’hydrogénation du carburant.

N’ayant pas été chargés de rechercher le camp d’Auschwitz, ils ne le trouvèrent pas

Combien ces deux choses sont proches: l’industrie – le camp.

Ce n’est qu’en 1977 que deux employés de la CIA entreprirent de rechercher dans les archives et d’analyser les vues aériennes d’Auschwitz. Ce n’est que trente-trois ans après que les mots furent inscrits,

les mots:

mirador

et

maison du commandement et

bureau d’enregistrement et

quartier général et administration et

clôture et mur d’exécution et bloc n°11 

et que le mot « chambre à gaz » fut inscrit.

Poussés par le succès de la série télévisée Holocauste, qui n’a su rendre visibles la souffrance et la mort qu’en les réduisant au kitsch, deux collaborateurs de la CIA fournirent à l’ordinateur des archives photographiques les coordonnées de tous les objectifs stratégiques situés aux environs des camps de concentration, y compris donc des usines IG-Farben de Monowitz.

Rien ne doit échapper à l’image!

Ces images retrouvées après trente-trois ans, ils les étudièrent à titre personnel, et ils écrivirent:

« Sur une aire particulièrement protégée, à côté des chambres à gaz, on voit un véhicule. Des témoins mentionnent  des camions peints aux couleurs de la Croix-Rouge, qui donnaient aux nouveaux arrivants l’espoir qu’ils se trouvaient dans un camp régi par les règlements internationaux. En réalité, ces camions transportaient le gaz mortel Zyklon B. Serait-ce là un de ces camions? »

 

Trafic n°11, été 1994, extrait de « La guerre inscrite sur les images du monde », texte de H. Farocki, commentaire de son film.

Publié par

Didier Durmarque

Didier Durmarque est professeur de philosophie en Normandie. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont la plupart sont des approches de la question de la Shoah. Moins que rien (2006), La Liseuse (2012) étaient des approches littéraires et romanesques de la question du néant, de l’identité et de la culture à partir de la Shoah. Philosophie de la Shoah (2014) Enseigner la Shoah: ce que la Shoah enseigne (2016) et Phénoménologie de la chambre à gaz (2018) constituent une tentative de faire de la Shoah un principe de la philosophie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.